''Les mains du métier'' Edouard Philippe HÖLLMÜLLER. Ecrivain. 2015.
*********************************************************************************************
''L'obscure clarté'' de l'oeuvre de jean paul Blais.
Isabelle RENARD Dr en histoire de l'art. responsable de la collection Art contemporain Musée de l'immigration Paris. 2015.

*********************************************************************************************
Allocution pour l'exposition au Chateau d''Avenches en 2011

par Florence Grivel.

Extrait d’un dialogue imaginaire face aux œuvres ici présentes :
J’ouvre la parenthèse :

Regarde-moi ce bois transfiguré créé par ce lisse métaphysique ?
Une quête infinie, c’est ça, je la perçois ; elle traverse l’entier de l’œuvre.
Et ces formes géométrico-organiques qui laissent filtrer le vide et la lumière, fenêtre ouverte sur des ailleurs poétiques…
Je ferme la parenthèse.)

Ne nous emballons pas trop vite, ça en vaut la peine !
Avant le céleste, la transsubstantiation de la matière, l’éveil, ces œuvres ont un ancrage dans la poétique du quotidien.
Et oui, peu de gens soupçonnent que Jean Paul Blais puisse s’abîmer dans le spectacle saisissant qu’offre le galbe d’une planche à viande, l’ingénieuse simplicité d’une planche à pain, le labyrinthe plombé des casses d’imprimeurs.
A partir de cet émerveillement et de ces fragments du monde réel, l’artiste démarre et élabore.
Objets quotidiens qui entrent dans la sphère de l’art ? Ca sonne comme une mélodie connue.
Et pourtant, aucune trace de ready-made chez Blais.
Pas de filiation non plus avec le pop-art, sublime colonisateur inspiré des biens proliférant de la société de consommation : objets usuels, manufacturés, fonctionnels, objets qui s’épanouissent au travers de sérigraphies, de pochoirs ou de sculptures en mousse expansée.
Pas de filiation encore avec le minimalisme, Jean-Paul Blais aime les formes géométriques, mais il reste un grand lyrique, il préfère contenir ses élans, cette sensibilité de chambre noire dans un cadre dont il fixe lui-même les limites régulières, mais jamais définitives.
Ready-made, Pop art, Minimalisme, drôles de références.
Habituellement, lorsqu’on évoque l’œuvre de Jean Paul Blais, ce sont les noirs crémeux et intenses de Soulages que l’on convoque, ou l’essence d’un art oriental revisité par un geste d’occidental, icône délestée de son fond d’or nous offrant le miroir de sa nuit.
C’est aussi ça bien sûr.
Mais ce qui me titille dans cette œuvre, davantage que la facture bien faite de ses peintures-reliefs, c’est l’interstice… Promesse d’une lecture-aventure vivifiante.
Avant de m’y glisser, je reviens un instant à la séduction immédiate de son œuvre ; difficile en effet de ne pas admirer la facture maîtrisée de l’œuvre, un artisanat de haut vol dirais-je, - je vous rassure tout de suite l’artiste ne snobe pas ce mot, c’est aussi ça son talent.

Jean Paul Blais est homme de précision, d’acharnement, de répétition, il ne compte pas ses heures lorsqu’il dépose ses couches de noir et qu’il les ponce jusqu’à les faire briller comme l’ébène d’un piano, mais si vous y regardez de plus près, et même si vous les touchez, - ce sont des œuvres dont la peau est si tentante qu’elles appellent la paume de la main ou la joue à s’approcher -, vous remarquerez peut-être ce pli ou cette couture, nervures d’un objet qui semble pulser ; vous ferez attention aux différentes textures, là dans cette pièce évidée, un bois presque brut, hérissé, alors que l’extérieur se dilate dans un calme satiné.

Sous l’apparente simplicité de la forme qui se donne, je découvre ces détails, ces interstices dont je parlais, ces accents, ces directions, ces passages, ces alternances de surface, ces vides, ces pleins, ces double-fonds, ces arrière-plans qui me font revenir aux premiers autrement…
Et la chose qui m’enchante, c’est que pendant ce temps, le flux des pensées s’apaise au profit d’un moment de contempl-action ; tout se passe sans effet spéciaux, sans bavardage d’un visuel spectaculaire.

Ces quelques aspérités proposent un trajet vers soi ; viatique d’une beauté qui dépasse l’élégance sourde de ces oeuvres, la beauté du regard vivant par lequel tout s’anime.
C’est peut-être tout simplement cela la vertu du silence de la pensée.

Florence Grivel . Journaliste radio, Historienne de l'Art.

***************************************************************************************************************************
Jean Paul Blais, « Le silence de la pensée »

Etonnante conjonction entre sculpture et peinture, l’expression artistique de Jean Paul Blais intrigue et surprend à plus d’un titre. L’artiste communique uniquement à travers la matière et  la non-couleur, l’ivoire et essentiellement le noir.  
L’oeuvre de Jean Paul Blais est sculpté dans le bois, en bas-relief. Avec intensité, passion, savoir-faire, minutie et une prodigieuse patience devant la tâche qu’il s’est assignée, l’artiste taille et assemble, organise les vides, les emplit ou non de fines lamelles et coupes, alternant les bois et les effets des fibres ligneuses.  Après enduction de plusieurs couches de peinture, intervient le ponçage, le polissage jusqu’à l’obtention de surfaces vertigineusement lisses, glissantes, coruscantes, frappées de lumière, invitant au contact tactile qui emplit de sensations agréables et soyeuses. Et pour ajouter à la complexité du travail, l’artiste s’emploie à  l’exécuter dans une épaisseur de bois convexe, comme pour mieux venir à la rencontre de l’œil.
Les œuvres noires de Jean Paul Blais rappellent à certains égards la remarque de Pierre Soulages, qui affirmait à propos d’une toile noire : « certains matins, elle est gris argent. A d’autres moments, captant les reflets de la mer, elle est bleue. A d’autres heures, elle prend des tons de brun cuivré. En réalité elle est toujours en accord avec la lumière reçue ».

Les oeuvres les plus récentes de Jean Paul Blais, de facture et structure analogues aux œuvres noires et blanches, sont  brutes, sans couverte peinte. Le bois est livré à nu. Dédales astucieux dans lesquels on est tenté de suivre un fil d’Ariane imaginaire, l’espace est géométrique, truffé de creux, de bas-reliefs, de signes ou affirme au contraire sa planéité.

Dans un savant jeu, parfois puissamment structuré, parfois d’une sobriété silencieuse, l’artiste travaille dans la quiétude de son atelier, à la recherche de l’immanence, de l’essentiel, d’un dépouillement transcendantal. A travers sa démarche inédite, il cherche à provoquer l’étonnement, la surprise, le questionnement, incitant à un silence interdit. André Malraux, dans les Voix du Silence, affirmait : « Comme l’amour, l’art n’est pas plaisir mais passion ». Et c’est véritablement un travail animé par la passion que livre Jean Paul Blais, dans lequel le temps semble avoir suspendu son vol.

Dr Danielle Junod-Sugnaux 2010.
Historienne de l’art.

**************************************************************************************************************************

Blais 2004-2006

Avec le temps, le vif s'assombrit, l'oeuvre fonce au noir, qui est l'identité secrète des couleurs. Du bois creusé, patiné, de l'encre assourdie, lustrée, polie, une réitération du geste comme une obstination - une patience ou une soif ?
Parfois la trace d'autres palimpsestes, figures dans le tapis, voyages sous la peau... Plans de mémoire, pans d'univers ...

Par le nombre, les motifs forment une écriture sans récit, une prolifération plurielle et chuchotante, peut-être ce que les scientifiques et les musiciens nomment "bruit". Foule de signes, bibliothèque d'éléments similaires mais non identiques, sensibles à l'accident. Un peu de lenteur suffit à circuler parmi ces caractères qui parlent de silence.

En épaisseur, la matière laisse entrevoir un arrière-pays, lueurs dans les tamis. Car ce monde est à claire-voie, comme échelle et grille, et partition. Alternance du vide et du plein : la peinture, qu'on perçoit d'abord sculptée dans sa masse, tient en elle son contrepoint, un air de légèreté. Comme ces stèles dressées dans le paysage, nourries d'espace et de nuages.

Sans limite, le "tableau" semble dériver d'une plus grande étendue, chaque objet témoigner de sa prairie, on le croirait découpé dans la toile qui le multiplie. Aux confins de l'analogie, la texture se poursuit, le bord n'est pas la fin .

Via la surface, l'espace est chiffré mais la voie est possible. Les diagrammes sont ouverts : à chacun sa traduction.
Le labyrinthe est une figure qu'on connaît en le parcourant. Par expérience.

Christine Rodès – janvier 2007
Journaliste et conférencière.

**************************************************************************************************************************

A propos des noirs de Jean Paul Blais ...

"Dans le noir on voit clair " (A. Tchékhov)

Une fois dépassée la peur du noir, la présence rassurante d'une proposition dont la nouveauté insolite nous envahit se retourne et nous incite à devenir curieux, alors même que nous croyions déjà tout savoir du noir.
Face à ceux de Jean Paul Blais en effet nous pouvons presque palper la présence d'un nouveau code, qui nous permet d'entrer en nous-même.
Le noir devient ainsi la couleur d'une prise de conscience, celle de notre singularité. Car ces noirs ne font pas dans le binaire : ils ne s'opposent pas aux blancs, ils ne représentent pas une ombre et ne véhiculent aucune symbolique médiévale.
Ils sont libres de tout code ou référence. Sortant de ce rythme à deux temps que sont les contrastes et autres figures de l'éloquence plastique, ils nous communiquent l'intuition qu'il nous est possible d'éprouver une nouvelle liberté faite d'altérité à ces codes éculés et scolaires.
Aucun noir ne se justifie autrement que par lui-même.
Inutile par conséquent de vouloir enfermer ceux-ci dans des cases ou de les cataloguer, car ils sont au contraire incompréhensibles aux yeux de cette raison qui classe et hiérarchise.
Ces noirs-là se sentent, se goûtent et se pèsent.
Malgré des interdits de galerie qui ne sont jamais absents de la contemplation, l'envie de toucher et de caresser les reliefs sourd comme une tentation lancinante.
Cette émotion sollicitée, ne relève pas pour autant d'un trouble irrationnel, car elle est existentielle et nous dit que nous touchons là quelque chose de nouveau et de vrai avec nos yeux par l'ambiguïté de cette peinture sculptée.
Cette vérité est une invitation faite objet d'approfondir la présence, notre présence dans la matière.
Car au contraire de la toile qui, en essayant de se faire oublier, nie la dimension physique de la représentation picturale (et c'est là tout son génie), le support en bois incarne les noirs de Jean Paul Blais, et ceux-ci l'impriment et le marquent en retour comme autant de stigmates qui le parcourent par des réseaux de tranchées et de lignes géométriques et aléatoires.
Cet appel à la densité n'atteint pas son but par la séduction, mais par la fascination consciente qu'elle suggère.
Elle est une force rare qui tient lieu d'amer dans cette œuvre à la fois peinte et sculptée.
Ces paysages du noir pourraient nous distraire; mais il n'en est rien, car leur noir est la signature d'un repère incontournable qui nous assigne à méditer.
Point n'est besoin de discourir pour expliquer, mais simplement exprimer le ressenti.
Oh certes, on pourrait se raccrocher à l'histoire de l'art par quelques associations d'idées, et peut-être davantage par des souvenirs émus que d'illustres créateurs avaient su provoquer en nous : des eaux-fortes de Rembrandt, des lavis de Victor Hugo, quelques expériences de Degottex et des empâtements de Soulages en auraient établi la genèse.
Et toutes des expériences intimes du passé pourraient alors se réactualiser là, mais dans une ouverture et une intention nouvelles qui nous approfondissent.
Ce creusement contemplatif révèle que le chemin de ce noir n'est pas seul revêtu de son altérité comme une liberté qu'il serait seul à définir.
Car pour qui médite un peu et se donne la peine de prendre un temps aujourd'hui bien précieux pour arrêter la course de ses jours, il sera permis de découvrir que l'autre l'attend en lui pour que nous le joignions enfin, mais en tenant par la main l'audace d'un noir grâce auquel tout s'éclaire.

François Coulon – mars 2007
Conservateur du patrimoine.

**************************************************************************************************************************

Jean Paul Blais, anatomie d’une peinture

Pourquoi suis-je moins ému par la nudité que par la vision d’une personne qui se dénude ?
Probablement que dans le premier cas il y a affirmation de la réalité, là où, dans l’autre cas, elle n’est que révélée. Et pourtant, la beauté telle que nous l’entendons est à fleur de peau, c’est-à-dire extérieure et visible. Ce que l’on appelle beauté intérieure ne relève souvent que du maintien moral. Dès lors, nous devrions déployer un sens instinctif pour cette beauté cachée. Cette beauté qui existe et que l’on peut apprécier par exemple, à défaut d’une expérience clinique, sur les planches anatomiques et médicales des dictionnaires anciens (exécutées de préférence à l’aquarelle).

En art, il en va de même ; l’artiste se doit de proposer une découverte, favoriser l’émergence d’une dimension masquée, mais que nous pensions connaître. Pour beaucoup d’entre nous, s’exprimer en peinture signifie amplifier et magnifier la vie. Pour Jean Paul Blais, je crois que s’exprimer par l’art signifie amplifier et magnifier l’expression même de l’art.

Jean Paul Blais ne se manifeste pas à travers une technique picturale, il invente sa technique et conduit son évolution. Autrement dit notre artiste ne choisit pas un sujet ou un contenu pour exprimer sa vision particulière de la réalité. Il éprouve cette réalité directement à travers l’acte créatif, cherchant par la même à rester en équilibre parfait entre forme et expression. Sous l’épiderme satiné des peintures de Blais, peau séductrice, saturée, souvent noire, évoluent en creux les mystérieux desseins de la biologie : cicatrices des écrits perdus, scarifications mathématiques et amoureuses, labyrinthes psychiques du poète et dédales de la félicité. La réalité de l’artiste devient notre faculté d’imaginer.

Plutôt que d’utiliser l’art figuratif du dessin, Jean Paul Blais travaille sur les concepts de relief en ronde-bosse. Sa recherche incessante s’applique à toucher ce que Rothko appelle la trilogie de la perfection mécanique, de la perfection spirituelle et de la beauté pour les sens au sein d’une forme unique.
Pourquoi suis-je moins réceptif à un idéal de beauté qu’aux propositions contenues dans les œuvres de Jean Paul Blais ? Très certainement parce que l’esthétisme, à mon sens, débouche sur l’exclusif et la certitude ; là où les combats héroïques de l’artiste sont une tentation de limiter tous les éléments de la réalité à celui de l’humain, dans ce que ce dernier a d’unique.

Richard Aeschlimann – octobre 2006
Ecrivain.